vendredi 15 juin 2012

Bestiaire de l'Adoption (1) - La Chèvre : de la mythique Amalthée aux classiques chèvres-nourrices...

Sous cette terminologie de Bestiaire de l'"adoption", je considère ici l'adoption de manière générique au sens d'une parenté non exclusivement réduite à la parenté biologique, de Nurture plus que de Nature des Anglo-Saxons...
Le "Nature versus Nurture" rend compte de l'opposition classique entre nature et culture -opposition applicable à biologique Vs adoptif-, le terme "Nurture" pouvant également se traduire par nourriture ou alimentation.
Loin de moi l'idée de comparer les mères adoptives à des animaux évidemment, ni d'attacher à la parenté de lait la primauté de la transmission des nourritures affectives ... 

Via ce Bestiaire de l'adoption, je vais donc passer en revue quelques exemples remarquables de parentés de lait entre animaux et humains (mythiques ou réels), l'animal remplissant le rôle de mère -nourricière en lieu et place d'une mère génitrice allaitante ou d'une nourrice mercenaire (l'allaitement maternel étant différencié de l'allaitement mercenaire au Moyen-Âge)...

Pour commencer ce bestiaire de l'adoption, je mets à l'honneur la chèvre...

Mythe de la chèvre Amalthée, mère- nourricière de Zeus, sa constellation, son égide et sa corne d'abondance...


Amalthée est une chèvre qui allaite Zeus enfant (ou Jupiter chez les Romains), aidée par des abeilles se chargeant de nourrir le dieu de miel.

Selon Zénobe, Zeus l'honore ensuite en la plaçant comme constellation dans le ciel, ou encore comme la plus grande des étoiles du Cocher (Capella, « la chèvre », c'est-à-dire α du Cocher). Cette "étoile de la chèvre" fait deux mille fois la taille du soleil. C'est à cause de ce mythe qu'on appelle la chèvre "la fille du soleil". Selon d'autres traditions, à la mort de la chèvre, Zeus aurait pris sa peau pour en revêtir son égide : le terme grec αἰγίς / aigís signifie en effet également « peau de chèvre ».

La chèvre est ensuite rationalisée en nymphe. Ainsi, chez Ovide (Fastes, V), c'est une naïade, à qui Zeus est confié encore enfant par Rhéa, sa mère, pour échapper à la jalousie de Cronos. Elle prend soin du jeune dieu en le nourrissant grâce au lait d'une chèvre ; mais celle-ci cassant un jour une de ses deux cornes, « Amalthée ramassa cette corne brisée, l'entoura d'herbes fraîches, la remplit de fruits, et la présenta ainsi aux lèvres de [Zeus] » (v. 124-125). C'est ainsi que serait née la corne d'abondance.

J.Jordaens - Jupiter nourri par la chèvre Amalthée - 1663 , Musée du Louvre

Ce mythe est un des premiers témoignages écrits de l'usage approprié d'un allaitement de substitution : certaines femmes se découvrant incapables d'allaiter, pour des raisons psychologiques ou physiologiques, utilisaient jusqu'à une époque récente le lait de chèvre, qui était un des meilleurs substituts naturels au lait de femme. Certaines approches psychanalytiques rapprochent ainsi le sein maternel de la corne d'abondance et de l'égide.


La chèvre comme parente de lait d'enfants sans mère-nourricière (génitrice ou mercenaire) : de l'usage médiéval au premier fils de Victor Hugo...


Le biberon et le sein d'allaitement (par mère-génitrice ou par mère -nourricière mercenaire) n'ayant pas toujours existé ou été utilisés, la chèvre pouvait être une nourrice usuelle et/ou providentielle...

On n’utilise sans doute que peu de biberons au Moyen Âge (on en trouve des représentations figurées à partir du xive siècle). Auparavant, les enfants qui ne pouvaient être allaités par une femme pour une raison ou une autre buvaient sans doute le lait animal au pis de la bête, qui était plus souvent un pecus, un animal domestique.

Durant des siècles, nos chèvres sauvaient l’enfant d’une effroyable mortalité infantile. Le recours à la chèvre pour nourrir un enfant était acte si commun que nul ne s’en étonnait.
Olivier de Serres, écrivait à son propos « Laictage meilleur et plus sain que celui des brebis ».

De même, vers 1570, Montaigne dans ses « Essais » s’émerveille à voir les petits enfants accroupis pour téter les chèvres lorsque la maman ne pouvait les nourrir.

« Et ce que j’ay parlé des chevres, c’est d’aultant qu’il est ordinaire autour de chez moy, de veoir les femmes de village, lors qu’elles ne peuvent nourrir les enfants de leurs mammelles, appeler des chevres à leur secours. Et j’ay à cette heure deux lacquais, qui ne tetterent jamais que huict jours laict de femmes. Ces chevres sont incontinent duictes à venir allaiter ces petits enfants, recognoissent leur voix quand ils crient, et y accourent : si on leur en presente un aultre nourrisson, elles le refusent, et l’enfant en faict de mesme d’une aultre chevre. J’en veis un l’aultre jour, à qui on osta la sienne, parce que son père ne l’avoit qu’empruntée d’un sien voisin, il ne peust jamais s’adonner à l’aultre qu’on lui presenta, et mourut, sans doubte, de faim. Les bestes alterent et abastardisent aussi aysement que nous, l’affection naturelle. »   
                                                                   Michel de Montaigne, Essais, livre II, p. 129-130.

Dans «Le Cours complet sur l’agriculture » l’Abbé Rozier énumère toutes les raisons qui doivent donner la préférence au service de la chèvre plutôt qu’à celui de la nourrice :

« En confiant à une nourrice mercenaire dont le comportement ne correspondait pas à celui de l’enfant équivalait à l’exposer dangereusement. Les maladies du corps, les passions de l’âme passant par le sang et le lait transmettait passions et infirmités. Risque aggravé pour l’enfant si la nourrice a été dérangée dans sa conduite ou si son mari a vécu ou vit dans la débauche ; si la nourrice est enceinte son lait sera de piètre qualité et pernicieux si elle nourrit plusieurs enfants à la fois, d’où une mise en garde appuyée ».

Léopold, le premier fils de Victor Hugo, à cause des problèmes de santé dont sa mère, Adèle, était affectée, fut confié à ses grands-parents. Sa grand-mère ne pouvait pousser son rôle de mère de substitution jusqu’à la parenté de lait, aussi fut-il confié en vain à plusieurs nourrices. La dernière d’entre elles n’était pas une femme, mais une chèvre.

[ Sources :
- Wikipedia
- Pierre-Olivier Dittmar, Chloé Maillet et Astrée Questiaux, « La chèvre ou la femme. Parentés de lait entre animaux et humains au Moyen Âge. », Images Re-vues [En ligne], 9 | 2011, mis en ligne le 30 janvier 2012, consulté le 15 juin 2012. URL : http://imagesrevues.revues.org/1621
- Lait de chèvre et chèvres nourrices, sur Terre des chèvres des Charentes et du Poitou ; DOI (15/6/12) : http://public.terredeschevres.fr/1_PRINCIPAL/1_3_1_lait/5_chevresnourrices.html ]


 Vladimir Cosma en Concert - La chèvre ( la cabra)


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