lundi 21 février 2011

Mytholo - L'Epopée de Gilgamesh... Un Roi, un Héros, un Dieu...

Héros maîtrisant un lion, dit "Gilgamesh" (8e siècle av. J.-C.) - Musée du Louvre © RMN / René-Gabriel Ojéda

Gilgamesh, ou Gilgameš, Bilgamesh dans les textes sumériens anciens (sans doute BÌL.GA.MÈŠ, « l'ancêtre est un héros/jeune homme ») est un personnage héroïque de la Mésopotamie antique, roi de la cité d'Uruk où il aurait régné vers 2650 av. J.-C., ainsi qu'un dieu des Enfers dans la mythologie mésopotamienne. Il est le personnage principal de plusieurs récits épiques, dont le plus célèbre est l'Épopée de Gilgamesh, qui a rencontré un grand succès durant la Haute Antiquité.

Oublié depuis la fin de la civilisation mésopotamienne aux débuts de notre ère, Gilgamesh est redécouvert après la traduction des tablettes de son épopée de la version des bibliothèques de Ninive exhumées dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il s'agit d'une des découvertes les plus retentissantes des débuts de l'assyriologie, puisque c'est par la traduction de tablettes de l'Épopée que l'anglais George Smith redécouvre en 1872 la première version mésopotamienne du mythe du Déluge, qui marque le début des découvertes jetant un pont entre la tradition biblique et la mythologie mésopotamienne. Par la suite, la traduction complète de l'Épopée permet de redécouvrir les exploits de celui qui est vu comme le plus ancien héros connu, et ce personnage et ses aventures deviennent une référence et l'objet de réflexions dans certaines œuvres littéraires, théâtrales, musicales, et plus récemment dans des formes plus modernes comme la télévision ou les jeux vidéos, même s'il est loin d'être aussi connu que Ulysse ou le Roi Arthur, du fait de la faible exposition de la mythologie mésopotamienne.

Les sources : mythes et autres textes

Les récits sumériens

Plusieurs récits épiques rédigés en sumérien vers la fin du IIIe millénaire racontent les exploits de Gilgamesh en tant que héros, qui est la forme la plus courante sous laquelle il est attesté dans les textes. Ces récits sont à resituer dans une tradition attribuant des actes légendaires à des anciens rois d'Uruk, Gilgamesh et ses deux prédécesseurs Enmerkar et Lugalbanda. La tradition liée à Gilgamesh est celle dont le plus d'œuvres sumériennes nous sont parvenues :

  • Gilgamesh et Agga raconte l'affrontement du roi d'Uruk avec Agga, roi de la cité voisine de Kish.
  • Deux récits de combats, dits Gilgamesh et le Taureau céleste et Gilgamesh et Huwawa qui opposent le héros, aidé de son ami Enkidu, à des monstres : le taureau envoyé par la déesse Inanna ou le terrible géant Huwawa (Humbaba), gardien de la Forêt des cèdres, épisodes repris plus tard dans l'Épopée.
  • La mort de Gilgamesh est un récit mal conservé de l'agonie du héros, auquel les dieux confèrent le rôle de juge des morts.
  • Dans Gilgamesh, Enkidu et les Enfers, Enkidu descend aux Enfers pour y chercher les insignes de royauté donnés par Inanna à Gilgamesh, que celui-ci y a laissé tomber ; Enkidu est alors retenu aux Enfers, mais son esprit revient raconter à Gilgamesh ce qui se passe dans le monde des morts.

L'Épopée de Gilgamesh

L’Épopée de Gilgamesh est un récit légendaire de l’ancienne Mésopotamie (Irak moderne). Faisant partie des œuvres littéraires les plus anciennes de l’humanité, la première version complète connue a été rédigée en akkadien dans la Babylonie du XVIIIe siècle av. J.-C. ou XVIIe siècle av. J.-C. ; écrite en cunéiforme sur des tablettes d’argile, elle s’inspire de plusieurs récits, en particulier sumériens, composés vers la fin du IIIe millénaire ; elle est à rapprocher d’« Enki et Ninhursag », d’« Enûma Elish » (Lorsqu’en haut…) et du « Atrahasis » (Poème du Supersage). Elle a pour origine des récits mythiques ayant pour personnage principal le roi Gilgamesh, cinquième roi (peut-être légendaire) de la première dynastie d’Uruk (généralement datée de l’époque protodynastique III, vers -2700, -2500), selon la liste royale sumérienne composée pendant la première dynastie d’Isin (-2017, -1794).
Selon l’opinion commune des assyriologues, le récit du Déluge, inspiré par l’Épopée babylonienne d’Atrahasis ou « Poème du Supersage », a été ajouté vers -1200, pour former le texte « standard », comprenant onze tablettes, de l’épopée assyro-babylonienne. La douzième tablette, traduction de la seconde moitié du récit sumérien « Gilgamesh, Enkidu et le séjour des morts », a dû être ajoutée vers -700.
Ce sont des tablettes d’écriture cunéiforme du VIIIe siècle av. J.-C. trouvées dans les fouilles de la bibliothèque du roi Assurbanipal à Ninive qui l’ont dévoilée au monde dans les années 1870, à partir notamment du passage concernant le Déluge, qui fit sensation à l’époque. Cette épopée avait connu un grand succès dans le Proche-Orient ancien, et des exemplaires ont été retrouvés dans des sites répartis sur un grand espace, en Mésopotamie, Syrie, et en Anatolie ; elle est attestée jusque dans les textes de Qumrân, peu avant l’ère chrétienne. Elle avait été traduite en Hittite et en Hourrite. Les sources sont sumériennes, babyloniennes, assyriennes, hittites et hourrites. Les tablettes seront d’abord traduites par Georges Smith, protégé de Henry Rawlinson.

De récents travaux rapprochent l’épopée de Gilgamesh des 12 travaux d’Héraclès (l’homologue grec du héros romain Hercule), la légende babylonienne étant antérieure de près de 1 000 ans aux écrits d’Homère.

Résumé de l'Epopée

L'Épopée se divise en deux parties principales. 
 
Le début présente Gilgamesh, roi tyrannique d'Uruk, dur et intransigeant. Pour faire cesser ses excès, les dieux, et plus particulièrement la déesse Aruru, créent avec de l’argile un double hirsute mais bon, Enkidu, un être capable de le combattre. L'affrontement qui a finalement lieu entre les deux ne voit aucun vainqueur, et au contraire les deux deviennent des camarades. Ils accomplissent ensuite deux grands combats, repris des anciens mythes sumériens : ils défont le géant Humbaba dans la Forêt de cèdres, puis le Taureau Céleste envoyé par le dieu Anu à la demande de sa fille Ishtar que Gilgamesh avait éconduit brutalement. 

En représailles, les dieux provoquent la mort d'Enkidu. C'est le tournant de l'œuvre. Mortifié par le décès de son ami, Gilgamesh, au comble de la tristesse, part à la recherche du secret de l’immortalité auprès d’Uta-Napishtim, qui lui fait l’étrange récit d’un déluge dont il est survivant. Au moment de partir il lui révèle l’existence d’une plante de jouvence, moyen d'éviter la mort. À peine Gilgamesh a-t-il pu se procurer la plante qu’il se la fait dérober par un serpent et comprend qu’il n’est pas dans la nature de l’homme de vivre immortel. Une telle quête est vaine et l’on doit profiter des plaisirs qu’offre la vie présente. Ayant appris qu'il ne pourra jamais obtenir la vie éternelle, Gilgamesh rentre alors à Uruk, cherchant à mener une vie heureuse jusqu'à sa mort.
 
La beauté et la richesse symbolique du récit firent d’autant plus sensation lors de leur révélation devant la Société d’archéologie biblique de Londres en 1872, que l’épisode relatant le Déluge ressemblait beaucoup, mais en plus étoffé, à l’épisode de Noé dans la Bible.

Il est intéressant d’en rapprocher le mythe de Héraclès : certains auteurs établissent ainsi une filiation entre l’épopée de Gilgamesh, la "Gloire d’Uruk", rédigé dans la Mésopotamie du XVIIIe siècle av. J.-C., et le mythe de Hercule, la "Gloire d’Héra", consigné par Homère au VIIIe siècle av. J.-C. (voir à ce sujet les travaux de l’anthropologue syrien Firas Sawwah).
En effet, la similitude est frappante entre un Gilgamesh, roi de Uruk, deux tiers dieu et un tiers humain, effectuant une série d’œuvres devant le mener à l’immortalité, et Hercule, Gloire de Héra, moitié dieu et moitié homme, effectuant 12 travaux qui le mèneront à son tour à l’immortalité.

La symbolique de l'épopée de Gilgamesh

L’épopée se concentre autour du personnage de Gilgamesh qui cherche de son vivant à devenir une légende en accomplissant des exploits remarquables. Mais dans sa démesure, il s’attire le courroux des dieux. La quête de l’immortalité en est le thème central, puisque Gilgamesh tente désespérément d’échapper à sa condition de mortel. Gilgamesh mène également une quête initiatique, car il sera le seul à découvrir les raisons qui amenèrent les dieux à causer le déluge. L’épopée est une quête dite solaire, Shamash y joue un rôle prépondérant. Comme il y a douze mois par années, ceci expliquerait le nombre de tablettes qui compose l’épopée.

Mais un des thèmes les plus développés dans l’épopée est sans aucun doute l’amitié qui unit Gilgamesh à son double, Enkidou. Ils sont des jumeaux antagonistes. Gilgamesh représente les forces de la lumière et Enkidou représente les forces de l’ombre. Enkidou représente tout l’inverse de l’homme civilisé : il vit dans la steppe parmi les bêtes. Le processus civilisateur d’Enkidou débute par une union sexuelle avec la courtisane. Après l’acte, les bêtes ne le reconnaissent plus, il a perdu une grande partie de sa force animale, mais en revanche il acquiert l’entendement et la parole. Puis, progressivement, la courtisane fera de lui un être civilisé. Donc, la symbolique derrière Enkidou peut se résumer à l’étape primordiale à laquelle se sont heurtés nos ancêtres lointains : celle de l’animalité à l’humanité.

Cette amitié entre Gilgamesh et Enkidou évoquerait l’union des forces de la lumière et de l’ombre. Mais Enkidu, qui au départ devait se débarrasser de Gilgamesh, prend parti pour les forces de la lumière, ce qui le mènera à sa perte. Ce qui laisse supposer que l’alliance des deux héros est contre nature. Et lorsque son compagnon Enkidou meurt d’une longue maladie, Gilgamesh renonce à la vie civilisée en revêtant la peau du taureau céleste et en errant seul dans le désert alors qu’Enkidou renonçait à la vie sauvage pour vivre parmi les hommes.



Les autres sources du Proche-Orient ancien

D' autres sources sumériennes et akkadiennes fournissent des informations sur Gilgamesh, parfois en tant que divinité des Enfers et pas seulement en tant que personnage héroïque :

  • D'après la Liste royale sumérienne, Gilgamesh est le cinquième roi de la première dynastie d'Uruk, présenté comme le fils d'un démon-lilū, seigneur de Kullab (un village qui devient un des deux quartiers principaux d'Uruk), qui aurait régné 126 années.
  • Un hymne du roi Shulgi de la Troisième dynastie d'Ur (2094-2047 av. J.-C.) mentionne les exploits de Gilgamesh. Il évoque notamment les combats de Gilgamesh contre la cité rivale de Kish, dont il défait le souverain Enmebaragesi.
  • Plusieurs tablettes administratives retrouvées sur des sites de la période archaïque (Fara, Girsu) et de la Troisième dynastie d'Ur enregistrent des mouvements de biens offerts au dieu Gilgamesh en diverses occasions.
  • D'après la Chronique de Tummal, un texte racontant la reconstruction d'un temple d'Enlil à Nippur, Gilgamesh et son fils Ur-lugal feraient partie des anciens rois ayant fait restaurer cet édifice.
  • Une prière akkadienne est dédiée à Gilgamesh en tant que divinité infernale.
  • La Ballade des héros des temps jadis, une prière datant de la première moitié du IIe millénaire av. J.-C., mentionne Gilgamesh ainsi qu'Enkidu et Humbaba parmi une liste d'illustres personnages héroïques de la Mésopotamie.
  • Gilgamesh apparaît dans des listes de présages et des incantations du IIe et du Ier millénaire.
  • Une « Lettre de Gilgamesh » datant du VIIe siècle av. J.-C. a été exhumée à Sultantepe : il s'agit peut-être de l'œuvre d'un scribe se mettant dans la peau du héros, au ton légèrement humoristique. Gilgamesh demande à un autre roi de lui envoyer des pierres précieuses pour faire réaliser une statue d'Enkidu après la mort de ce dernier, allusion à un passage de l'Épopée.
  • Des passages de l'Épopée de Gilgamesh font probablement l'objet de représentations iconographiques, mais en l'absence d'inscriptions, il est difficile de savoir avec certitude si c'est bien ce héros qui est représenté. On a longtemps pensé que le héros nu aux longs cheveux représenté souvent sur des sceaux-cylindres et accompagné d'un homme-taureau représentait Gilgamesh accompagné d'Enkidu, mais il s'est avéré qu'il s'agissait probablement de la divinité protectrice Lahmu. Seuls quelques plaques d'argile voire quelques sceaux-cylindres pourraient représenter des passages de combats de l'Épopée, à savoir ceux contre Humbaba et contre le Taureau Céleste.


En dehors de la sphère culturelle mésopotamienne

Le nom de Gilgamesh et sa renommée ne s'est pas oublié après la fin de la civilisation mésopotamienne au début de notre ère. On le retrouve mentionné dans des documents plus tardif élaborés hors de Mésopotamie. Sa figure ne correspond alors que vaguement à l'image laissée par la tradition mésopotamienne.
  • Gilgamesh est mentionné dans deux parchemins des Manuscrits de la mer Morte datant du Ier siècle av. J.-C., retrouvés dans la grotte 4 de Qumran, écrits en araméen. Ce personnage est un des « géants » nés de l'union entre des démons et des mortelles, symbolisant peut-être pour les sectes à l'origine de ces textes la pensée des Gentils (i.e. les Grecs), qui serait issue de démons
  • Une œuvre grecque de l'époque romaine mentionne le héros : il s'agit du De natura animarum d'Élien le Sophiste (début IIIe siècle). Un passage de l'œuvre (XII, 21) parle du roi Seuchoros de Babylone, auquel il est fait le présage que sa sœur enfantera un garçon qui le détrônera. Il décide donc de l'enfermer dans une tour, où elle accouche d'un fils, nommé Gilgamos, que des gardes précipitent du haut de l'édifice pour le tuer. Mais un aigle le rattrape, et le confie à un jardinier qui l'élève, ce qui permet à la prophétie de s'accomplir, Gilgamos devenant roi de Babylone. Ce mythe semble faire référence à une légende relative à la naissance de Sargon d'Akkad.

Le personnage de Gilgamesh : un roi, un héros, un dieu

Un roi-héros

Gilgamesh est présenté dans tous les récits épiques où il apparaît comme un personnage hors du commun, de par sa stature et par les exploits qu'il accomplit. Il est grand, beau et fort, et sa seule apparition sur les murailles d'Uruk suffit à effrayer l'armée de Kish dans Gilgamesh et Agga. D'après les titres donnés par les Anciens mésopotamiens à l'Épopée, qui sont en fait leur incipit, Gilgamesh est tantôt « Celui qui surpasse les autres rois » (šutur eli šarrī, dans la version du début du IIe millénaire) ou « Celui qui a tout vu » (ša naqba imuru, dans la version de Ninive). Il est même capable de séduire une déesse, Inanna/Ishtar.
Il est généralement présenté comme étant le descendant d'un être surnaturel, y compris une divinité. Dans la Liste royale sumérienne, c'est un démon-lilū, et dans l'Épopée, c'est la déesse Ninsun. Dans ce dernier récit, son père est Lugalbanda, roi d'Uruk ayant également accomplit plusieurs exploits. D'après la version hittite de l'Épopée, qui est la seule à mentionner la naissance de son héros, Gilgamesh aurait été créé par les grands dieux, notamment le Dieu-soleil et le Dieu de l'Orage, qui lui donnent force et courage. La version standard mentionne aussi le fait que les dieux ont façonné son allure.
Par son ascendance, Gilgamesh est donc déjà supérieur aux autres hommes. Les exploits qu'il accomplit dans les différents mythes qui le mettent en scène illustrent cela : il porte le coup fatal au terrible Huwawa/Humbaba et au Taureau Céleste, se rend dans des lieux inaccessibles au commun des mortels, ce qui lui donne donc une grande connaissance et une grande sagesse. De fait, Gilgamesh est devenu un personnage important du folklore mésopotamien, et a même été reçu dans plusieurs civilisations voisines.

Une divinité des Enfers

Un autre thème récurrent des mythes mettant en scène Gilgamesh est la mort. Deux mythes sumériens tournent autour de ce sujet : La mort de Gilgamesh et Gilgamesh, Enkidu et les Enfers.
Ils ne sont pas repris dans l'Épopée, mais cette dernière est bâtie autour de la quête de Gilgamesh pour éviter la mort. Gilgamesh est donc un personnage obsédé par la mort, qui cherche à comprendre ses mystères, et à savoir comment sont les Enfers dans le récit où Enkidu y est envoyé. Il est effrayé par sa mort future, qu'il cherche à éviter. Mais même lui qui a accompli tant d'exploits surhumains ne peut éviter cette fatalité.
Les Anciens mésopotamiens avaient une vision pessimiste de la mort, qui touchait de façon égale les puissants et les pauvres, et les envoyait mener une existence de tristesse dans l'Au-delà. La morale de l'Épopée est qu'on ne peut échapper à la mort, symbole de la condition humaine, et qu'il vaut mieux chercher à profiter au maximum de son existence sur Terre.

Héros humain pour qui la mort est une obsession, Gilgamesh est aussi un être divin, une divinité infernale du pays de Sumer. C'est d'ailleurs sous cette forme qu'il apparaît dans la source la plus ancienne le concernant qui est à notre disposition, une liste de divinités provenant de Fara qui est parmi les plus anciens textes religieux exhumés en Mésopotamie (c. 2600-2500 av. J.-C.). Le mythe de la La mort de Gilgamesh est certes un texte pessimiste, présentant comme un échec la quête d'immortalité du héros, mais finalement il devient une des divinités des Enfers, ce qui peut être vu comme une sorte de compensation.
Plus précisément, plusieurs textes semblent indiquer que Gilgamesh joue le rôle de juge des Enfers. Sa fonction est détaillée dans l'hymne paléo-babylonien qui lui est dédié, mais elle reste à expliciter dans la mesure où il ne semble pas y avoir de croyance en un jugement après la mort en Mésopotamie. Le tribunal qu'il dirige serait plutôt destiné à juger des affaires liées seulement au monde des morts. Dans plusieurs textes, on le nomme également « roi des Enfers » (LUGAL KUR.RA), ce qui n'est que rhétorique dans la mesure où les maîtres des Enfers dans la mythologie mésopotamienne sont Ereshkigal et Nergal.

C'est donc en tant que divinité chthonienne, liée aux Enfers, qu'il est vénéré et reçoit des offrandes dans plusieurs temples de basse Mésopotamie, où il dispose de statues à son effigie comme les autres dieux. Ainsi, à Lagash à l'époque archaïque (c. 2400-2350), il reçoit des sacrifices, notamment lors d'une fête religieuse liée au monde des morts, et il dispose même d'un lieu de sacrifice spécifique appelé « Quai de Gilgamesh » (GÚ DBÌL.ÀGA.MES). Son culte est encore attesté à l'époque de la Troisième dynastie d'Ur (c. 2100-2000 av. J.-C.), et le texte de La mort de Gilgamesh qui a été rédigé vers cette période ou peu après prescrit de vénérer particulièrement Gilgamesh lors de la fête NE.NE.GAR de l'« allumage de tous les feux ». Les feux qui étaient alors allumés sous les auspices de Gilgamesh, représenté par sa statue, devaient permettre aux esprits des ancêtres défunts de retrouver leurs anciennes demeures et leurs descendants qui y vivent, avant de s'en retourner dans l'au-delà sous la surveillance du dieu.

Un homme derrière les mythes ?

Il est courant de trouver dans les ouvrages spécialisés que Gilgamesh est un personnage qui a probablement existé, avant d'être « héroïsé » puis divinisé par les générations qui lui ont succédé. Mais pourtant il manque une preuve déterminante de la réalité de son existence, qui reste toujours non prouvée. Il est donc à classer au même titre que Moïse ou le Roi Arthur dans la catégorie des personnages dits « semi-légendaires », apparaissant comme des héros dont le contexte des exploits est vraisemblablement historique. Mais quant à savoir s'il a bien vécu, s'il s'agit de l'amalgame de différents personnages, ou les deux, la question reste posée.
Si l'on se fie à de nombreuses traditions le concernant, il est un ancien roi d'Uruk passé à la postérité.
La plus ancienne allusion à ce personnage le mettant en rapport avec cette cité est datée du temps du roi Utu-hegal d'Uruk (2120-2112 av. J.-C.), mais il s'agit alors du dieu. C'est sous ses successeurs de la Troisième dynastie d'Ur que ce personnage apparaît dans les textes en tant que roi d'Uruk. Les souverains d'Ur III Ur-nammu (2112-2094) et Shulgi (2094-2047) se présentent comme étant ses « frères et amis » cherchant à se faire voir comme ses héritiers (leur dynastie semble être originaire d'Uruk).
Gilgamesh est généralement présenté comme étant le troisième d'une lignée de rois de cette cité ayant fait l'objet de récits épiques, après Enmerkar et Lugalbanda. Il est un modèle de roi, qui mène ses troupes au combat, et la tradition lui attribue la construction de l'impressionnante muraille d'Uruk. Si l'on suit la Liste royale sumérienne, on peut dater le règne de Gilgamesh du XXVIIe siècle av. J.-C. environ, à la fin de la période Dynastique archaïque II (2900-2600), parfois considérée comme un « âge héroïque » durant lequel auraient vécu plusieurs des rois-héros dont la tradition épique mésopotamienne a conservé le souvenir (Enmerkar, Lugalbanda, Agga). Agga, l'adversaire de Gilgamesh d'après un récit sumérien, est présenté par cette liste comme le dernier roi de la première dynastie de Kish, supplantée par celle d'Uruk. Le passage du témoin se ferait donc sous le règne de Gilgamesh. D'après la liste royale Agga est précédé à la tête de sa cité par Enmebaragesi, personnage connu par des inscriptions de son époque, et qui a donc vécu avec certitude.

Dans l'hymne du roi Shulgi mentionnant Gilgamesh, c'est ce dernier roi de Kish qui est l'adversaire du roi d'Uruk. Cela rend donc plus envisageable son existence en tant qu'être humain. Mais il est possible que le personnage héroïque de Gilgamesh se soit développé à partir d'une divinité vénérée particulièrement dans la région d'Uruk, car c'est sous sa forme divine que Gilgamesh apparaît dans nos sources les plus anciennes le mentionnant, à la période tardive des Dynasties archaïques (soit deux ou trois siècles après son existence supposée).
La cité d'Uruk est l'une des plus importantes villes de basse Mésopotamie durant la période où aurait vécu Gilgamesh, le début de l'époque dite des Dynasties archaïques. C'est sans doute la plus grande ville de cette région, avec des murailles et des monuments impressionnants. Le cycle épique de ses souverains, ainsi que la Liste royale sumérienne en font une des grandes puissances politiques de cette époque. Les récits relatifs aux rois prédécesseurs de Gilgamesh sur le trône de la cité, Enmerkar et Lugalbanda mettent souvent en scène leur rivalité avec la ville d'Aratta, sans doute localisée dans le Plateau iranien, tandis que Gilgamesh semble s'être opposé à Kish, la grande puissance du nord de la basse Mésopotamie.
Les rois d'Uruk ont tous un lien particulier avec la divinité Inanna/Ishtar, déesse de la ville d'Uruk, où elle a son grand temple, l'Eanna, principal complexe monumental de la ville, avec Kullab, le quartier de son père le dieu Anu (d'où vient peut-être Gilgamesh, si on suit la Liste royale). Mais alors qu'Enmerkar et Lugalbanda ont un très bon rapport avec la déesse, Gilgamesh semble avoir des relations plus conflictuelles avec elle.

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