jeudi 1 octobre 2015

Adoption en Roumanie (3) - Adoption en Roumanie (vision humanitaire française) (2) : La chute de Ceausescu : l'espoir déçu ; Le tournant de 1997 : décentralisation et politique de "désinstitutionnalisation"...

La chute de Ceausescu : l’espoir déçu

[Voir auparavant :  >>> Adoption en Roumanie (2) - Adoption en Roumanie (vision humanitaire française) (1) : l'abandon institutionnalisé... ]

Lors de l’élimination de Ceausescu, à la fin de 1989, ce système était en place depuis vingt ans et fonctionnait à plein rendement : l’abandon d’enfants était entré dans les mœurs et fournissait des petites victimes par milliers pour entretenir cet énorme appareil d’orphelinats, devenu le premier employeur du pays avec environ 100 000 salariés.
A Bucarest, les ministères se disputaient la tutelle sur les orphelinats, et chacun — la Santé, l’Education, le Travail, les Handicapés — poussé par les syndicats, en voulait sa part et "s’arrachait" cette manne providentielle, revendiquant le droit d’avoir “ses” enfants abandonnés.

Romanian Orphans. © Robert Levy/Mental Disability Rights International. [Source : New-York Times, 2006.]

A la veille de la “Révolution”, on estime à environ 120 000 le nombre de jeunes prisonniers de cette "machine à broyer des vies d’enfant". Logiquement, la disparition du “génie des Carpates”, en décembre 1989, aurait dû marquer la fin du système. En effet, l’une des premières lois votées par le Parlement roumain en 1990 a abrogé l’obligation de procréer et autorisé l’avortement tandis que, par ailleurs, les télévisions du monde entier avaient révélé les conditions de vie épouvantables des enfants dans les orphelinats, et diffusé des images qui rappelaient des temps abominables que l’on croyait révolus.
Du coup, les ONG du monde entier ont afflué en Roumanie, et un grand élan de solidarité s’est développé en Europe occidentale et aux Etats-Unis pour secourir les enfants des orphelinats.
Et pourtant.
Comme un canard décapité qui continue à courir, le système a survécu pendant sept années à la disparition de son fondateur : il faudra attendre 1997 pour que l’ordonnance scélérate de 1970 soit abrogée.

Pendant les années 1990-1997, le système des abandons d’enfants, et de leur enfermement en orphelinats, a en effet continué sans grand changement. Pourquoi ?
Trois raisons principales viennent expliquer le maintien de ce système.
D’une part, la misère due à la transition d’un système collectiviste à une économie libérale s’est en quelque sorte substituée à la contrainte de la loi de 1970 pour provoquer les abandons d’enfants, qui se sont poursuivis au même rythme qu’autrefois (environ 10 000 par an).
D’autre part, les ministères de tutelle des orphelinats et les syndicats des personnels se sont arc-boutés pour garder leurs proies : les abandons d’enfants étaient leur gagne-pain.
Enfin, l’Union européenne, principal bailleur de fonds des ONG, a commis la grave erreur de financer l’aide aux orphelinats sans exiger de la part du gouvernement roumain l’abrogation de l’ordonnance de 1970.
Autrement dit, la manne bruxelloise, qui s’est élevée à plusieurs dizaines de millions d’euros au cours de cette période 1990-1997, a servi non pas à changer le système, mais à l’améliorer. Pas une seule fois, au cours de ces sept années post-révolutionnaires, l’Union européenne n’a subordonné son aide au respect du droit de l’enfant à une famille, pourtant inscrit dans le Préambule de la Déclaration des Nations unies ratifié par la Roumanie dès 1990. Des “bureaux d’études” français, anglais ou belges commissionnés et grassement rémunérés par l’Union européenne, se sont succédé à Bucarest et ont élaboré toutes sortes de rapports sans jamais dénoncer le cœur même du système, à savoir l’abandon des enfants.
Le plus étonnant peut-être est qu’aucune des grandes ONG présentes en Roumanie pendant cette période ne se soit insurgée : elles ont continué à couvrir le drame tant qu’elles ont trouvé des financements communautaires, puis sont parties, les unes après les autres, sur la pointe des pieds pour la plupart, quand les sources de financement se sont taries.

Ainsi, à la fin de 1996, au moment où M. Constantinescu a succédé à M. Iliescu à la présidence de la République, l’ordonnance de 1970 était toujours l’alpha et l’oméga de la “politique de protection de l’enfant” en Roumanie, et les 600 orphelinats de Ceausescu, dont des mouroirs par dizaines regorgeaient d’enfants, fonctionnaient à plein régime avec un effectif global estimé à environ 100 000 enfants.

Le tournant de 1997 

Le tournant est survenu les 21 et 22 février 1997, avec la visite officielle rendue par le président Chirac à son homologue roumain. Pendant les deux journées qu’il a passées à Bucarest, M. Chirac n’a cessé de le répéter à ses interlocuteurs : sept années après la disparition de Ceausescu, il est inacceptable que la Roumanie continue à organiser et à encourager l’abandon des enfants, et l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne est inenvisageable tant que ce système honteux perdurera. Le message a été bien compris : quelques jours après la visite de M. Chirac, le Premier ministre roumain, M. Victor Ciobea, a fait entrer au gouvernement un jeune médecin de 28 ans, le docteur Cristian Tabacaru, comme secrétaire d’Etat à la Protection de l’Enfant, avec pour mission de procéder à la réforme tant attendue. Le docteur Tabacaru n’a pas déçu : en quelques mois, il a réussi à changer le système. Sa première décision a consisté à abroger l’ordonnance de 1970 sur laquelle reposait tout l’appareil des orphelinats : tel a été l’objet de l’ordonnance du 12 juin 1997. Dans le même temps, surmontant la résistance acharnée des syndicats de personnel, des politiciens et des ministères, le docteur Tabacaru a réussi à transférer aux Conseils généraux la tutelle sur certains orphelinats : les “leagan” et les “casa de copii”. Il a fallu attendre novembre 1999, et l’intervention de la Commission européenne, pour que les autres orphelinats (“camin spital”, “centres de NPI”, et “écoles spéciales”), soient à leur tour décentralisés, tant la réforme rencontra d’oppositions.

Cette politique de décentralisation fut la clé du changement pour deux raisons principales.
D’une part, l’intérêt des Conseils généraux diverge fondamentalement de celui des ministères : les premiers, par souci d’économies, ont tout avantage à ce qu’il y ait le moins d’enfants possible dans les orphelinats, alors que les seconds cherchent au contraire à en avoir le plus grand nombre pour justifier davantage d’emplois ou de crédits budgétaires ;
d’autre part, les Conseils généraux sont, par définition, plus proches des enfants et des familles que les fonctionnaires des ministères à Bucarest : ils savent ce qui se passe dans les orphelinats et peuvent donc réagir plus rapidement.
Du fait de la décentralisation des orphelinats, une nouvelle administration apparut dans le pays, celle des Directions Départementales de la Protection de l’Enfant (D.D.P.E.) : depuis le 1er janvier 1998, chacun des 41 départements de Roumanie est doté d’une D.D.P.E., sur le modèle de nos D.D.A.S.S. Le rôle de ces D.D.P.E. consiste à faire respecter le droit de chaque enfant à une famille, et donc à mener une politique de “désinstitutionnalisation”.

[Source : DE COMBRET François - fondateur de SERA (Solidarité Enfants Roumains Abandonnés)-. Les enfants abandonnés. in 1989 - 2009 20 ans après la Révolution : l’abandon des enfants en Roumanie
Article paru dans la revue Humanitaire, Le Quai d'Orsay et l'humanitaire, n°7, printemps/été 2003.]


[VOIR AUSSI :
Adoption en Roumanie (1) - Histoire de l'adoption internationale en Roumanie (vue des Etats-Unis) : Généralités...

Adoption en Roumanie (2) - Adoption en Roumanie (vision humanitaire française) (1) : l'abandon institutionnalisé...  ]


EN SAVOIR PLUS : 
>>> Blog : lesadoptesderoumanie.blogspot.com





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