dimanche 6 mars 2011

Symbolo - Plutôt Chèvre.. Ou plutôt Bouc (émissaire) ? ...

 Jupiter nourri par la chèvre Amalthée (ou l'enfance de Jupiter) -Nicolas Poussin ; Berlin.


Chèvre

A l'instar du taureau et de la vache, le symbolisme de la chèvre (en grec chimaira, chimère; capra en latin) a un sens très différent selon qu'il s'agit du mâle ou de la femelle. Tandis que le bouc (en grec tragos), symbole de la lubricité et de la vitalité débordante, est souvent considéré d'une manière négative, la chèvre est très respectée en tant que nourricière dans les mythes antiques (c'est une chèvre, Amalthée, qui allaita le jeune Zeus).



Un attribut caractéristique de la tenue de Pallas Athéna est l'aigis, la peau de chèvre, qui selon Hérodote (IVe livre, 189) fait partie des vêtements des femmes libyennes, et qui (tout comme l'olivier qui était l'arbre sacré d'Athéna et que l'on cultivait également en Libye) renvoie à l'origine nord-africaine de la déesse du lac des Tritons - l'actuel Schotts (Athena tritogeneia).
 La corne de chèvre est également le symbole de la fécondité (corne d'abondance, cornu copiae).

Dans la symbolique chrétienne, la chèvre ne joue pas un grand rôle mais apparaît parfois auprès de l'agneau dans les tableaux qui représentent la naissance du Christ. Dans le Bestarium médiéval, on dit que la chèvre aime grimper sur les hautes montagnes, ce que l'on interprète de manière allégorique en disant que le Christ, comme la chèvre, aime aussi les hautes montagnes, c'est-à-dire les prophètes et les apôtres.

On ne connait guère chez nous de la chèvre que son agilité ou, selon La Fontaine, son goût de la liberté, d'une liberté primesautière, qui fait que le nom de la chèvre (capris) a été donné au caprice.

Dans l'Inde, parce que le mot qui la désigne signifie également non-né, elle est le symbole de la substance primordiale non manifestée. Elle est la Mère du monde, Prakiti. Les trois couleurs qui lui sont attribuées, le rouge, le blanc et le noir, correspondent aux trois guna, ou qualités primordiales : respectivement sattva, rajas et tamas.

Certaines peuplades de Chine mettent la chèvre en rapport avec le dieu de la foudre : la tête de la chèvre sacrifiée lui sert d'enclume. La même relation entre la foudre et la chèvre est attestée au Tibet. Elle figure en somme un instrument de l'activité céleste au bénéfice de la terre, et même plus précisément de l'agriculture et de l'élevage.


Chez les Germains, la chèvre Heidrun parait dans le feuillage du frêne Yggdrasil et son lait sert à nourrir les guerriers du dieu Odin.

Chez les Grecs, elle symbolise l'éclair. L'étoile de la Chèvre, dans la constellation du cocher, annonce l'orage et la pluie, ainsi que la chèvre Amalthée, nourrice de Zeus.

L'idée d'associer la chèvre à la manifestation du dieu est très ancienne. D'après Diodore de Sicile, des chèvres auraient guidé l'attention des hommes de Delphes vers le lieu où des fumées sortaient des entrailles de la terre. Prises de vertige, elles dansaient. Intrigués par ces danses, des hommes comprirent le sens des vapeurs émanant de la terre : il leur fallait interpréter cette théophanie ; ils instituèrent un oracle.

Yahvé s'était manifesté à Moïse au Sinaï au milieu des éclairs et du tonnerre. En souvenir de cette manifestation, la couverture couvrant le tabernacle était composée de poils de chèvre.

Un vêtement nommé cilicium, tissé de poils de chèvre, était porté par certains Romains, et par des Syriens, au moment de la prière, pour symboliser leur union avec la divinité. Chez les chrétiens, le port ascétique du cilice prend le même sens, avec une intention de mortifier la chair par pénitence et de libérer ainsi l'âme vivifiée qui veut se donner pleinement à son Dieu. Ce qui n'est pas sans évoquer le robe de bure des moines.

Notons à ce propos que le mot soufi viendrait, selon la tradition la plus admise en Orient, de souf, terme sous lequel on désigne le feutre de poil de chèvre dont était rituellement faite la robe des derviches de certaines confréries mystiques musulmanes particulièrement sévères dans leurs règlements intérieurs.

Les Orphiques comparent l'âme initiée à un chevreau tombé dans le lait, c'est-à-dire vivant de la nourriture des néophytes, pour accéder à l'immortalité d'une vie divine.
Dans les orgies dionysiaques, la peau des chevreaux égorgés revêtait les Bacchantes. Le chevreau désigne parfois Dionysos en transe mystique. C'est le nouveau-né à une vie divine. Zeus enfant suçait le lait de la chèvre Amalthée qui fut transformée en nymphe, puis en déesse nourricière, puis en fille du Soleil. Dans toutes ces traditions, la chèvre apparait comme le symbole de la nourrice et de l'initiatrice, tant au sens physique qu'au sens mystique des termes. Mais sa connotation capricieuse impliquerait aussi la gratuité des dons imprévisibles de la divinité.


 Cérémonie en l'honneur de Dionysos


Bouc

Le bouc (tragos en grec) a, au contraire de la chèvre, une signification souvent négative en symbolique. Cornu, barbu, velu, membru, fourchu, et à la fin puant, il offre dans notre civilisation une symbolique résolument sulfureuse.

Tout comme le bélier, le bouc symbolise la puissance génésique, la force vitale, la libido, la fécondité.
Mais cette similitude, devient parfois une opposition : car si le bélier est principalement diurne et solaire, le bouc, lui, est le plus souvent nocturne et lunaire et enfin, il est avant tout un animal tragique puisqu'il a donné, pour des raisons qui nous échappent, son nom à une forme d'art : littéralement, tragédie veut dire chant du bouc, et c'était à l'origine le chant dont on accompagnait rituellement le sacrifice d'un bouc aux fêtes de Dionysos. C'est à ce dieu que l'animal était particulièrement consacré : il était sa victime de choix (Euripide, Bacchantes, 667).
N'oublions pas que le sacrifice d'une victime implique tout un processus d'identification. Dionysos s'était métamorphosé en bouc lorsque, Typhon attaquant l'Olympe et dispersant les dieux effrayés au cours de sa lutte avec Zeus, il s'enfuit en Egypte. Il arrivait d'ailleurs dans un pays où des sanctuaires étaient élevés à un dieu chèvre ou bouc, que les Grecs appelèrent le dieu Pan ; les hiérodules s'y prostituaient à des boucs. C'était un rite d'assimilation aux forces reproductrices de la nature, au puissant élan d'amour de la vie. Comme le bélier, le lièvre, le passereau, il était consacré à Aphrodite, à laquelle il servait de monture, tout comme à Dionysos et à Pan, divinités qui se revêtaient parfois aussi d'une peau de bouc.

Sa vertu sacrificielle apparait aussi dans la Bible, où le bouc du sacrifice mosaïque sert à expier les péchés, les désobéissances, les impuretés des enfants d'Israël. Il immola alors le bouc destiné au sacrifice pour le péché du peuple et il en portera le sang derrière le voile.Il procèdera avec ce sang comme avec celui du taureau, en faisant des aspersions sur le propitiatoire et devant celui-ci (Lévitique, 16, 15-16).
Rien d'étonnant dès lors que, par une méconnaissance profonde du symbole et par une perversion du sens de l'instinct, on ait fait traditionnellement du bouc l'image même de la luxure (Horace, Epodes, 10, 23). Et voici le tragique. Libidinosus, dit le poète latin, de ce bouc lascif qu'il veut imoler aux Tempêtes, comme si la libido s'identifiait aux débordements sexuels et à la violence de la puissance génésique. Dans cette perspective, le bouc, animal puant, devient un symbole d'abomination, de réprobation, ou, comme le dit Louis Claude de Saint-Martin, de putréfaction et d'iniquité. Animal impur, tout absorbé par son besoin de procréer, il n'est plus qu'un signe de malédiction, qui prendra toute sa force au Moyen Age ; le diable, dieu du sexe, est alors présenté sous la forme d'un bouc. Dans les récits édifiants, la présence du démon - telle celle du bouc - se signale par une odeur forte et acre.

Les boucs placés à gauche, lors du jugement, représentent les méchants, les futurs damnés. Dans l'art, on voit parfois un bouc se tenant à la tête d'un troupeau de chèvres. Il peut désigner ici les puissants; par l'argent ou par le renom, qui entraînent les faibles sur une mauvaise voie. Le Satan à tête de bouc de l'imagerie chrétienne, est selon Grillot de Givry, le Mendès de l'Egypte décadente, combinaison du faune, du satyre et de l'aegypan, tendant à devenir synthèse définitive de l'anti-divinité. Le bouc est aussi, comme le manche à balai, la monture des sorcières qui se rendent au Sabbat.


L'Irlande désigne, sous le terme général de goborchind têtes de chèvres (ou de boucs), un certain nombre d'êtres inférieurs, laids et difformes, apparentés à la catégorie, plus générale encore, des Fomoire.
Ce triomphe de l'aspect néfaste ou nocturne du symbole fait finalement du bouc l'image du mâle en perpétuelle érection, à qui, pour le calmer, il faut trois fois quatre-vingts femmes. C'est l'homme qui déshonore sa grande barbe de patriarche par des copulations contre nature. C'est lui qui gaspille le précieux germe de la reproduction. Image de malheureux, rendu pitoyable par des vices, qu'il ne peut maîtriser, de l'homme dégoûtant, il figure l'être qu'on doit fuir en se bouchant les narines.

Les tabous sexuels et la grande peur du Moyen Age chrétien ne parviennent cependant pas à éliminer complètement les aspects positifs du symbole, comme le prouvent d'innombrables traditions populaires : ainsi une tradition méditerranéenne, déjà signalée par Pline et encore attestée récemment, attribue au sang de bouc une extraordinaire influence, et, notamment, le pouvoir de tremper merveilleusement le fer.

Ailleurs, il représente l'animal fétiche qui capte le mal, les influences pernicieuses et se charge de tous les malheurs qui menacent un village. Il y a toujours un bouc dans un village, jouant le rôle d'un protecteur ; on ne le frappe, ni ne l'ennuie,car tout le mal qui arrive, il l'intercepte comme le paratonnerre attire et canalise la foudre. Plus il est barbu et puant, plus il est efficace. On en garde toujours un autre, prêt à le remplacer, quand il meurt.

En Afrique, une légende peul présente le bouc avec sa double polarité, comme un symbole de la puissance génésique et de la puissance tutélaire.
Couverts de longs poils, il est signe maléfique,dès lors que tout le corps en est couvert ; il devient alors l'image de la lubricité. La légende africaine de Kaydara décrit un bouc barbu : Il tournait autour d'une souche, sur laquelle il montait, descendait et remontait sans arrêt. A chaque escalade, le mâle caprin éjaculait sur la souche, comme s'il s'accouplait avec une chèvre; malgré la quantité considérable de sperme qu'il déversait, il ne parvenait point à éteindre son ardeur virile. Cette légende explique que dans la classification des êtres, le bouc représente parfois une tentative d'union entre l'animal et la plante comme le corail est intermédiaire entre la plante et l'animal, comme la chauve-souris relie l'oiseau et le mammifère.

Mais, face à l'Europe chrétienne, c'est encore l'Inde védique qui apporte à l'aspect négatif du symbole un contrepoids suffisant en identifiant le bouc, animal du sacrifice védique, à Agni, dieu du feu :


Le bouc est Agni ; le bouc est la splendeur : 
... le bouc chasse au loin les ténèbres...

O bouc, monte au ciel des hommes pieux ;
... le bouc est né de la splendeur d'Agni
                                                               (Atharva Veda 9, 5)

Il apparait comme le symbole du feu génésique, du feu sacrificiel, d'où naît la vie, la vie nouvelle et sainte : aussi sert-il de monture au dieu Agni, le régent du Feu. Il devient alors un animal solaire revêtu des trois qualités fondamentales, ou guna, comme la chèvre.

Saint et divin pour les uns, satanique pour les autres, le bouc est bien l'animal tragique, qui symbolise la force de l'élan vital, à la fois généreux et facilement corruptible.




Bouc sacrifié et bouc émissaire

Le Lévitique mentionne pour la première fois, dans la Bible, le bouc émissaire.
Lors de la fête de l'expiation, le Grand Prêtre recevait deux boucs offerts par les personnages les plus importants. L'un était immolé, l'autre retrouvait sa liberté, suivant un tirage au sort, mais une liberté alourdie de toutes les fautes du peuple. Un des boucs, tenu à la porte du Tabernacle, était en effet chargé de tous les péchés, ensuite il était emmené... dans le désert et abandonné ; suivant d'autres versions, il était basculé dans un précipice. Aaron offrira le bouc sur lequel est tombé le sort "à Yahvé" et en fera un sacrifice pour le péché. Quant au bouc sur lequel est tombé le sort "à Azazel", on le placera vivant devant Yahvé pour faire sur lui le rite d'expiation, pour l'envoyer à Azazel dans le désert. (Lévitique 16, 5-10)

Le rite de l'envoi du bouc à Azazel présente un caractère archaïque, qui n'est pas propre à la législation mosaïque. Azazel est le nom d'un démon habitant le désert, terre maudite où Dieu n'exerce pas son action fécondante, terre de relégation pour les ennemis de Yahvé. L'animal qui lui est envoyé n'est pas sacrifié à Azazel ; le bouc envoyé au désert, où demeure le démon, représente seulement la partie démoniaque du peuple, son poids de fautes ; il l'emporte au désert, le lieu du châtiment. Pendant ce temps, un autre bouc est vraiment sacrifié à Yahvé, selon un rite de transfert expiatoire.

Un bouc est sacrifié à Yahvé pour le péché du peuple ; l'aspersion de son sang est interprétée comme une purification. Le bouc émissaire chargé des fautes du peuple subit au contraire l'épreuve du bannissement, de l'éloignement, de la relégation ; symbolisant la condamnation et le rejet du péché, son départ est sans retour. Ce sens de purification nous le retrouvons dans l'usage suivant lequel le lépreux offrait deux passereaux, l'un étant sacrifié, l'autre aspergé par le sang de la victime, mais immédiatement relâché vivant (Lévitique, 14, 4-7). Le mal est emporté par le bouc émissaire ; il cesse d'être une charge pour le peuple pécheur.

Un homme est appelé bouc émissaire dans la mesure où il est chargé des fautes d'autrui, sans qu'il soit fait appel à la Justice, sans qu'il puisse présenter sa défense et sans qu'il ait été légitimement condamné. La tradition du bouc émissaire est quasi universelle ; elle se retrouve dans tous les continents et s'étend jusqu'au Japon. Elle représente cette tendance profonde de l'homme à projeter sa propre culpabilité sur un autre et à satisfaire ainsi sa propre conscience, qui a toujours besoin d'un responsable, d'un châtiment, d'une victime.



[Sources : 
    CAZENAVE M. et al, Encyclopédie des symboles, Paris, Librairie Générale française,1996.
    CHEVALIER J.,GHEERBRANT A., Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 2004]

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