samedi 19 mars 2011

Haïti - Des enfants en domesticité : les Restavèks...

Les restavèks d’Haïti…


Les restaveks (restavèk en créole haïtien, dérivé du français « reste avec ») sont une des catégories d'enfants d'Haïti vivant dans une famille autre que leur famille biologique. 

Ce terme ne recouvre aucune définition juridique mais a une acception très péjorative dans le contexte haïtien. Il sert à désigner les enfants - mais aussi des adultes - qui sont traités comme domestiques sans aucun respect pour leur dignité.
 
Toutefois, tous les enfants vivant dans une famille autre que leur famille biologique ne sont pas des "restavèk" dans la mesure où il est très courant, dans les Caraïbes, qu'un enfant soit pris en charge par des membres de sa parentèle avec le consentement de ses parents. 
Il n'est donc pas rare que les familles nanties placent elles-mêmes certains de leurs enfants chez des parents ou des amis proches de la famille afin que l'enfant puisse bénéficier d'une meilleure scolarité dans son nouveau lieu de résidence. Auxquels cas, les parents assurent financièrement la prise en charge et la scolarité de cet enfant et sont en contact régulier avec lui.

Sociologiquement parlant, les enfants défavorisés qui sont placés dans des familles autres que leur famille biologique sur la base d'un contrat oral entre les deux familles constituent deux catégories distinctes qui ont pour dénominateur commun d'être issus de familles pauvres des zones rurales ou urbaines. Ces enfants sont placés par leur famille biologique dans des familles citadines ou rurales avec, comme accord oral, que l'enfant participe aux tâches domestiques ou agricoles en échange de sa prise en charge et de sa scolarisation, élément extrêmement important de mobilité sociale en Haïti.

La première catégorie de ces enfants placés issus de milieux défavorisés est constituée d'enfants des deux sexes des zones rurales et urbaines qui sont placés au sein de leur parentèle (on parle alors de domesticité informelle) ou chez des gens non apparentés (on parle alors de domesticité formelle - "nan kay moun") et qui sont plutôt bien traités et surtout scolarisés (même si l'école retenue est de moindre qualité que celle fréquentée par les enfants de la maisonnée). Ils participent un peu plus que les autres enfants de la maisonnée aux tâches domestiques mais sans abus de la part des adultes et enfants. Sociologiquement, ces enfants ne rentrent pas dans la catégorie stricto sensu des restavèk.

La seconde catégorie d'enfants placés issus de milieux défavorisés est constituée d'enfants des deux sexes des zones rurales et urbaines qui sont placés au sein de leur parentèle ou chez des étrangers et qui sont victimes de traite des personnes dans la mesure où ils sont recrutés à des fins d'exploitation de leurs forces de travail. Ces enfants sont victimes de tous les abus, y compris d'abus sexuels, tant en zones rurales qu'en zones urbaines. Dans ce cas bien particulier, il faut souligner que beaucoup de parents sont dans l'incapacité de surveiller la manière dont leur enfant est traité dans sa famille de placement. Même s'il est vrai que des parents se font complices des sévices subis par l'enfant, il n'en demeure pas moins que l'éloignement géographique des parents représente un facteur important dans la mise en danger de la vie de l'enfant, les parents biologiques n'étant plus en mesure de protéger leur enfant.

Les enfants vivant dans une famille autre que celle de leurs parents biologiques sont très nombreux en Haïti. Ils sont -contrairement à l'idée répandue - beaucoup plus nombreux en zones rurales qu'en zones urbaines mais très éparpillés parmi la vaste population vivant principalement de l'agriculture (IVe Recensement Général de la Population et de l’Habitat, 2003. Résultats définitifs. Ensemble du pays. Ministère de l’Economie et des Finances, Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), Port-au-Prince, Mars 2005 : 24), ce qui complique leur identification.

Toutefois, le cadre légal en Haïti présente des faiblesses telles que la répression de la traite des personnes - donc de ceux dénommés "Restavek", stricto sensu - n'existe pas. Un projet de loi a été proposé en 2009 au Parlement haïtien afin de poursuivre les auteurs de traite des personnes. Pour l'heure, il existe donc un vide juridique sur cette question quand bien même les auteurs des violences pourraient être poursuivis sous d'autres chefs d'inculpation (Wiza Loutis & Me Saint-Pierre Beaubrun, Ampleur du phénomène de la traite des filles et des femmes en Haïti, Octobre 2009, OIM, à paraitre).

Il est - c'est un fait - très difficile d'obtenir le nombre exact d'enfants "restavèk" en Haïti dans la mesure où l'Institut du Bien-Etre Social et de Recherche (IBESR) ne dispose pas des moyens de comptabiliser cette population. Le dernier recensement de la population datant de 2003 fait état de la présence de ces "enfants en domesticité" mais ne définit pas ce qu'il (IHSI) ou les ménages interrogés entendent par ce terme.
Il est toutefois avéré par ce document que les filles sont beaucoup plus nombreuses, de manière générale, mais surtout en zones urbaines et que les garçons sont plus nombreux en zones rurales. Les données de l'IHSI sur les enfants dits en domesticité ne permettent cependant pas d'affirmer que ces enfants ne sont pas scolarisés ou qu'ils seraient victimes de diverses formes de violences et d'abus de la part des membres de leurs familles de placement.

Le Foyer Maurice Sixto sis à Carrefour, commune de l'arrondissement de Port-au-Prince, tente d'apporter une aide psychologique et éducative aux enfants en domesticité, qu'ils soient ou non considérés comme des "restavèks". Ce foyer a d'ailleurs été récompensé en 2008 pour l'ensemble de son œuvre auprès de ces enfants.

Le Foyer FCCM, sis à Darbonne dans la commune de Léogane, apporte également une réponse aux familles démunies puisqu'il accueille en son sein - en qualité de structure d'urgence - les filles dont les parents ne peuvent assumer leur prise en charge financière pour une durée variable. Le Foyer FCCM assure la scolarisation de ces filles et jeunes filles majeures tout en apportant une aide économique aux parents afin que leurs filles ne soient pas/plus placées en domesticité.

Traite des personnes

Du point de vue juridique, l’expression « traite des personnes » désigne « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes » in Art. 3 du Protocole Additionnel à la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Transnationale Organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté à New York le 15 novembre 2000 et ratifié en Haïti par le décret du 26 novembre 2003.


En plus : vous pouvez également lire l'article du Courrier International du 24/02/2011 de Monique Durand intitulé "Le calvaire silencieux des Restavèks". [Merci à Bruno T. pour ce lien]

Les restavèks seraient actuellement au nombre impressionnant d'au moins 400.000 en Haïti, soit au moins un enfant haïtien sur dix...

Il ne s'agit donc pas d'une population négligeable ou marginale au niveau de son importance démographique...

4 commentaires:

  1. Enfin un exposé censé et concret.

    Merci !

    Pour mes enfants, pour mes amis resté là bas, pour Haïti !

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  2. @ Stéphane : je suis content que ce billet vous convienne !

    Par contre, vous êtes vraiment sûr que c'est le seul "exposé censé et concret" de ce blog jusqu'à présent ? ;-)) J'espère en tout cas que ce ne sera pas le dernier...|-))

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  3. Merci Julien pour ce billet sur un sujet qui m'est cher. Tu as donné une vision très juste et nuancée de la situation haïtienne et de sa complexité en matière de placement d'enfants... du confiage à l'exploitation.
    Amicalement
    Blandine

    PS ; rassure toi, tu m'avais semblé plutôt "censé et concret",comme gars, lorsque je t'ai rencontré à Dijon -:))) Bon,mais ça demande tout de même confirmation... à suivre !! -:))

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  4. bon article, que certaines personnes de l'unicef (contre l'adoption international) devraient lire.
    Seul le titre ne me plait guère, je le verrait plutôt ainsi
    Haïti - Des enfants en esclavage : les Restavèks...

    Bravo pour ce blog que je viens de découvrir.

    Olivier papa adoptant et non cocu !!!

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