dimanche 16 juin 2013

Adoption au Pérou (1) - La classique circulation des enfants dans les Andes... Wawachakuy : faire d'un enfant son enfant par les nourritures caloriques et affectives...

Dans les Andes péruviennes (mais également en Equateur et en Bolivie), les enfants peuvent être pris en charge par des adultes autres que leurs parents de naissance. Dans ces arrangements informels de fosterage, les enfants reconnaissent souvent à la fois leurs parents de naissance et leur parents nourriciers comme leurs parents.
Le lien de parenté se créée et se consolide de facto par les nourritures caloriques et affectives...

Louis TOFFOLI - Petite famille péruvienne.

Dans les Andes, le fosterage n'est pas préféré comme en Afrique de l'Ouest, mais est une pratique acceptée et largement répandue au sein des populations rurales et urbaines.

Pour le peuple de Zumbagua, en Equateur, la parenté est créée par l'ingestion d'aliments et de boissons, le partage d'états émotionnels avec des individus ou des esprits, en étant dans une proximité physique intime de personnes ou d'objets.

Un adulte peut créer un lien de parenté en éduquant ou en s'occupant d'un enfant pendant plusieurs mois ou années.

Pour de nombreux Andins indigènes, y compris les paysans de langue quechua, chez qui des recherches anthropologiques ont été effectuées dans la région de Sullk'ata en Bolivie, la question de savoir qui est apparenté à qui est déterminée par les activités quotidiennes comme manger la même nourriture, travailler sur le même lopin de terre, ou partager le même espace de vie. Environ 10 pour cent des familles dans les communautés rurales de Sullk'ata étaient en quelque sorte impliqués dans la circulation des enfants, en donnant ou en prêtant un enfant à une autre personne. Très peu de ceux impliqués dans ce fosterage ont conclu un agrément légal ou contractuel ou sont passés par une agence d'adoption publique ou privée.

Les Sullk'atas font souvent la distinction entre ce qu'ils considèrent comme un transfert plus permanent, «donner» (quy, en Quechua) un enfant, et un transfert plus temporaire, "prêter" (manay,en Quechua) un enfant.

Donner un enfant peut prendre différentes formes, mais dans la plupart des cas, les parents biologiques ne peuvent plus exercer certaines tâches, telles que nourrir un enfant, qui établissent et maintiennent la parenté.
Donner un enfant se produit parfois en raison de circonstances extrêmes, comme la mort ou la blessure grave d'un parent.

En revanche, un enfant peut être prêté à ses grands-parents une fois qu'ils n'ont plus leurs enfants à la maison pour aider aux tâches ménagères et apporter de la vitalité dans la maison.

Bien que parfois désigné comme «adoption» (adoptar, en espagnol), les Sullk'atas utilisent le terme Quechua wawachakuy (littéralement, "faire d'un enfant son fils ou sa fille") pour décrire les processus par lesquels les adultes prennent soin d'un enfant et en font un enfant de leur famille. le wawachakuy résulte sur une parenté à la fois matérielle et sociale. Un enfant qui n'est pas pris en charge par un parent biologique devient néanmoins une fille ou un fils (daughter or son) en recevant de la nourriture d'un autre adulte.
Parfois, prêter un enfant est temporaire, mais la relation qui s'établit à travers le wawachakuy peut durer beaucoup plus longtemps que la résidence de l'enfant dans un ménage particulier.

Par exemple, Teresa a été pris en charge, nourrie et vêtue par Antonia et son mari Faustino depuis qu'elle est toute petite. Antonia et Faustino ont été incapables d'avoir naturellement un enfant  et étaient donc très disposés à assumer la tâche d'élever Teresa quand sa mère à la naissance (Leonarda, soeur d'Antonia) est tombé malade. Leonarda est resté à l'hôpital pendant plusieurs semaines, elle était trop malade pour s'occuper de ses cinq enfants, et encore moins d'un bébé. Elle a donné sa petite fille nouveau-né à sa soeur Antonia sœur. Leonarda explique, au moins rétrospectivement, qu'elle a donné le bébé à sa sœur dans l'espoir qu'Antonia et Faustino arrêteraient de se battre sur leur incapacité d'avoir des enfants et resteraient ensemble. Élevée principalement dans la ville de Cochabamba, Teresa reconnaît Antonia et Faustino comme ses parents en s'adressant à eux comme «mère» et «père». Même si elle sait que Leonarda lui a donné naissance, Teresa appelle Leonarda "Tante" et Nelson "Oncle". Teresa vit avec Antonia et Faustino et aide Antonia à vendre des sodas et autres rafraîchissements après l'école. Quand Teresa se ​​comporte mal, Antonia et Faustino sont les adultes qui la réprimandent. Pour Antonia et Faustino, fournir à Teresa ses vêtements et matériels scolaires, la nourrir tous les jour, et prendre soin d'elle quand elle est mal -  partageant les joies et les épreuves de la vie ensemble-, font d'elle leur fille.

Dans la région de Sullk'ata comme ailleurs dans les Andes, de manière pratique et conceptuelle, une personne devient intégrée dans une famille en vivant sous le même toit, en partageant le maïs et les pommes de terre dans des bols communs, et en profitant de la chaleur générée par la proximité physique de nombreuses personnes dans une cuisine minuscule, en travaillant ensemble dans les mêmes champs, en voyageant ensemble chaque fois que possible, et en faisant des libations (rituels religieux) aux mêmes forces de la terre. Ces pratiques sont essentielles pour les parents de naissance pour s'engager, recréer et reconsolider l'intimité, les hiérarchies, et les liens de parenté, autant qu'elles sont nécessaires pour les parents adoptifs.

Une fois donnés ou prêtés, les enfants prennent également leurs propres décisions sur où aller ou rester, et le degré dans lequel ils ont été en mesure de "s'habituer" à vivre dans la maison de quelqu'un d'autre. Le fosterage est donc un moyen important par lequel les enfants et les jeunes, comme les adultes, peuvent  négocier leur situation.

A Ayacucho, au Pérou, comme ailleurs dans la région andine, les gens peuvent recueillir un enfant pour qu'il vive dans leur maison, pour tenir compagnie à un parent âgé ou aider dans les tâches ménagères, et les parents peuvent transférer l'enfant pour atténuer les pressions économiques ou maintenir des liens sociaux.
En outre, les enfants -en particulier les plus âgés- peuvent voir le fait de vivre dans un autre ménage comme un chemin vers un progrès socio-économique, une manière de se déplacer au-delà de la simple subsistance, un moyen de "surmonter" (superar, en espagnol) sa condition.

[Source : The Commonality of Child Circulation in the Andesin  Nancy E. Riley,Krista E. Van Vleet -Making Families through adoption, SAGE Publications, Inc (2011); pp.21-24]





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