mardi 8 février 2011

THEO - Abraham : le Patriarche commun aux trois religions du Livre

                                                                Abraham et Isaac - Rembrandt, 1634.


Abraham (en hébreu : אַבְרָהָם /av.ra.'am/, en arabe : إبراهيم /ib.ra.'him/ « père d’une multitude ») est un personnage fondamental de la Bible et, plus généralement, de l'histoire des peuples sémitiques. Il est considéré comme l'ancêtre des peuples hébreux et arabes, ainsi que le père du monothéisme et de la religion primitive des Hébreux et des Arabes. L'histoire d'Abraham est racontée dans la Genèse. Il est appelé Ibrahim dans le Coran. Quand la Bible était vue comme un récit historique, on datait cette épopée à environ 1800 avant notre ère.
Selon la tradition, Abraham est enterré dans le Tombeau des Patriarches, à Hébron (Genèse 23 et 25)

La question de l’historicité ou non du personnage biblique Abraham a fait l’objet d’un travail scientifique considérable par les archéologues. L’existence d’archives extraordinairement abondantes (tablettes d’argile) a permis de conclure que le nom « Abraham » se retrouve à différentes époques et en différents lieux de Mésopotamie, sans qu’aucune utilisation particulière à Ur puisse être notée. De plus, les migrations en Mésopotamie sont désormais assez bien connues et aucune ne correspond au trajet du récit biblique, depuis Ur jusqu’en Palestine. Les archéologues constatent également que la géographie de la Palestine à l'époque supposée d'Abraham ne correspond pas aux récits bibliques (la ville de Beer Sheva n'existait par exemple pas au XIXe siècle). La conclusion des études scientifiques est la non-historicité d’Abraham, personnage biblique, donc, et non pas personnage historique.

Selon la Bible

Abram, Saraï et Loth

Le personnage d'Abraham apparaît dans la Genèse, au chapitre 11 (Ge 11. 21-29) d'abord sous le nom d’Abram (en hébreu : אַבְרָם, ābram, « père haut »), dans la généalogie qui suit l’épisode de la Tour de Babel. Il y est dit qu’Abram descend de Sem, l’un des trois fils de Noé, lesquels étaient retombés dans l’idolâtrie.
Il est le fils de Terah et a deux frères, Nahor et Haran. Haran meurt, laissant un fils, Loth (qui est donc le neveu d’Abram).
Abram épouse Saraï, sa demi-sœur, qui est stérile.
Terah quitte Ur vers le pays de Canaan avec Abram et Loth son petit-fils (verset 31). Ils se fixent à Harran (Harra ou Charan), connu pour être à la fois un grand centre caravanier et l’un des deux principaux sanctuaires (avec Ur) qui soit dédié au Dieu-Lune Sîn vénéré par les Mésopotamiens.
Au chapitre 12 (Ge 12), Abram reçoit l’ordre divin de quitter Harran avec sa famille et ses troupeaux pour, à l’âge de 75 ans, aller à l’endroit que lui désignera Dieu, tandis que son père reste à Harran et que son frère Nahor est en Mésopotamie. Il est accompagné de Loth (verset 4). Abram traverse alors sans doute l’Euphrate à Karkemish, puis il entre dans le pays de Canaan jusqu’au site de Sichem (verset 6), où Dieu lui apparaît à nouveau et lui promet « de donner cette terre à sa descendance ». Abram construit un autel, puis continue sa route dans la région de Bethléem et Aï, puis vers le Néguev d’où une famine le chasse vers l’Égypte.
Là, le Pharaon enlève Saraï qu’Abram avait fait passer pour sa sœur (pour que sa vie ne soit pas menacée par la beauté de sa femme). Il finit par la libérer suite à des plaies infligées par Dieu.
À son retour au pays de Canaan, Abram se sépare de Loth avec lequel des divergences apparaissent (Ge 13). Celui-ci s’installe près de Sodome.
Dans le même temps, une coalition de quatre rois orientaux (Ge 14) tente de mater la rébellion de cinq rois cananéens. Les rebelles sont vaincus, Sodome et Gomorrhe mises à sac, Loth est fait prisonnier. Abram poursuit les assaillants et les défait près de Damas. Loth est ainsi libéré et le butin rendu intégralement. À son retour, Abram est accueilli avec bienveillance par les rois de Sodome et de Jérusalem. Il repart vers le Néguev et s’installe dans l’oasis de Beer-Sheva.
Puis Abram reçoit la promesse de Dieu de multiplier sa descendance pour laquelle la terre de Canaan est destinée, « depuis le torrent d’Égypte jusqu’au grand fleuve d’Euphrate » (Ge 15. 18).
Pour assurer à son mari une progéniture, Saraï donne à Abram sa servante, Agar, comme épouse (Ge 16). Ismaël naît de cette union.

L'alliance d'Abraham

Treize ans après la naissance d’Ismaël (Ge 17), Abram a 99 ans, et Dieu lui propose une alliance : « on ne t’appellera plus Abram (אברם ābrm), mais ton nom sera Abraham (אברהם ābrhm), car je te fais père d’une foule (hamon : ham est la fin du mot Abraham et le début du mot hamon), de nations (goyim). Je te fructifierai beaucoup, beaucoup, tu engendreras des nations, des rois sortiront de toi ».
Abram accepte cette alliance qui passe par la circoncision de tous les hommes de sa maison et devient Abraham : « Abraham prit Ismaël, son fils, tous ceux qui étaient nés dans sa maison et tous ceux qu’il avait acquis à prix d’argent, tous les mâles parmi les gens de la maison d’Abraham et il les circoncit ce même jour, selon l’ordre que Dieu lui avait donné. Abraham était âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, lorsqu’il fut circoncis. » La circoncision au huitième jour est le signe de cette alliance entre Dieu et la descendance d’Abraham.
Saraï devient Sarah par la même alliance.
Le chapitre 18 (Gn 18. 1-15) est celui de l’annonciation à Abraham et Sarah, par l’apparition de l’Éternel et de trois hommes qui leur font la promesse d’avoir un fils, Isaac (« rire, joie »), qui devra être circoncis à son huitième jour en signe de l’Alliance. Le nom de Isaac est lié à toutes les sortes de rires que provoque l’annonce de l’enfant : joie, émerveillement, mais aussi étonnement, incrédulité de Sarah qui est ménopausée et ne couche plus avec son mari.
Au cours de la même visite, la destruction de Sodome et Gomorrhe est annoncée à Abraham.

Sodome et Gomorrhe

Les deux chapitres suivants (Ge 19-20) s’intercalent, comme s’il fallait séparer le plus possible la conception d’Isaac de sa naissance. Le texte enchaîne sur la condamnation de Sodome et Gomorrhe. Sodome est une ville où règne la confusion sexuelle. Des enfants naissent, mais il n’est pas possible de leur attribuer de père. Or pour qu’une ville se perpétue, il est fondamental qu’y siège un tribunal qui reconnaisse les filiations. Au verset 22, se mettent en place les deux interlocuteurs d’un marchandage entre Abraham et l’Éternel. Abraham marchande le nombre de membres de justes qu’il faudrait y trouver pour sauver la ville : 50, 45, 40, 30, 20 ? Finalement, dix justes auraient suffi pour sauver Sodome. Le miniane, le quorum nécessaire à toute cérémonie juive, est de dix membres.

Naissance et sacrifice d'Isaac

Isaac naît (Ge 21). Il est nommé du nom accepté en commun par Abraham et Sarah, il est circoncis au huitième jour. Isaac grandit. Un jour, craignant qu’Ismaël ne devienne le successeur d’Abraham au détriment d’Isaac, Sarah demande à Abraham de chasser Ismaël : « Chasse cette servante et son fils, car le fils de cette servante n’héritera pas avec mon fils, avec Isaac. »
Si Dieu réconforte Abraham sur l’avenir de son fils Ismaël, il l’encourage néanmoins à réaliser tout ce que Sarah lui demande : « Accorde à Sarah tout ce qu’elle te demandera car c’est d’Isaac que sortira une postérité qui te sera propre. Je ferai aussi une nation du fils de ta servante car il est ta postérité ».

Abraham renvoie donc dans le désert sa servante Agar et son fils, Ismaël, qui manque d’y périr. Un ange apparaît alors à Agar, sauve son fils et lui promet d’en faire le « père d’une grande nation. »
Pendant cet épisode (Ge 22), Dieu met Abraham à l’épreuve et lui dit : « Prends ton fils unique ; va-t’en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai ». Abraham obéit. Ce faisant, il reconnaît ainsi celui dont il tient l’enfant. Comme le jeune garçon, au verset 7, l’appelle avi, « mon père », et que lui répond béni, « mon fils », ils se sont aussi reconnus mutuellement.
Dieu intervient par l’intermédiaire d’un ange qui ordonne à Abraham : « n’avance pas ta main sur l’enfant, et ne lui fais rien car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique ».
Au moment du rituel, un ange vient et ordonne à Abraham d’épargner Isaac ; c’était une épreuve envoyée par Dieu pour tester Abraham.
Un bélier est sacrifié à sa place. La tradition juive place ce sacrifice interrompu sur le Mont Moriah, à l’emplacement actuel du Dôme du Rocher à Jérusalem. La tradition musulmane situe le sacrifice, non pas d’Isaac, mais d’Ismaël, dans le désert.
Dans la tradition juive, le sacrifice d’Abraham est plutôt désigné comme la « ligature » d’Isaac (akeda). Le souvenir de ce sacrifice est commémoré à chaque nouvelle année juive, lors de la fête de Rosh Hashana. Dans la tradition musulmane, le sacrifice d’Abraham est l’acte fondateur de l’abandon total de la créature à son créateur : le symbole de la confiance absolue en la volonté divine. Son souvenir est commémoré chaque année par la fête du sacrifice ou Aïd el adha où l’on sacrifie rituellement un bélier.
Rappelons que dans la tradition islamique, ce n’est pas Isaac mais Ismaël qui est concerné par cette tentative de sacrifice.
C’est une scène souvent représentée dans l’iconographie chrétienne (Rembrandt, Jean Goujon…).

Sacrifice d'Isaac contesté par une partie des musulmans

Des savants musulmans contestent le fait qu’Isaac soit le fils sacrifié d’Abraham (Ibrahim). Il s'agirait selon eux d'Ismaël. Parmi les arguments avancés (entre autres) le Genèse 22.2 : « Dieu dit : Prends ton fils, ton unique », Isaac ne pourrait point être fils unique d’Abraham puisqu'Ismael - son demi-frère né d'une servante - est plus âgé que lui de quatorze ans selon la Bible.

Sépulture de Sarah et mariage d'Isaac

Après la mort de Sarah (Ge 23), une négociation a lieu entre Abraham et les fils de Het (Hittites) à propos du champ et de la grotte de Hébron où sera enterrée Sarah. Éphron, fils de Het, veut les lui donner, Abraham veut les payer. Finalement, il paye. Le prix payé par Abraham pour le champ et la grotte est de 400 sicles (שקל, shekel) d’argent « au cours du marchand ».
Abraham ordonne ensuite (Ge 24) à son serviteur (anonyme, mais que le Midrash assimile à Éliézer), d’aller en Mésopotamie (Aram) pour trouver une femme à Isaac. Éliézer choisit Rébecca, fille de Betouel, près d’un puits de Paddan Aram, pour sa beauté et sa générosité : elle abreuve non seulement les voyageurs, mais aussi leurs chameaux. Il rentre avec elle à Hébron.
Après avoir marié son fils, Abraham prend une nouvelle épouse (Ge 25. 1-10), Ketourah, de laquelle il a de nombreux fils : Zimran, Jokschan, Medan, Madian, Jischbak et Schuach. « Il fit des dons aux fils de ses concubines et, tandis qu’il vivait encore, il les envoya loin de son fils Isaac dans le pays d’Orient » (Ge 25. 6). Puis il meurt à l’âge de 175 ans « dans une vieillesse heureuse ». Il est enterré aux côtés de Sarah au tombeau des Patriarches : « Isaac et Ismaël, ses fils, l’enterrèrent dans la caverne de Macpéla, dans le champ d’Éphron, fils de Tsochar, le Héthien, vis-à-vis de Mamré. »


Selon le Coran

Abraham, connu comme Ibrahim par les musulmans est un des prophètes de l'islam les plus importants; il est appelé « Père » ou « Abouna » par les musulmans qui se considèrent comme ses plus dignes descendants, à la fois en tant que prêcheur du monothéisme et en tant que père d’Ismaël puis d’Isaac. Le Coran revendique pour Ismaël, le fils aîné de la servante, la "paternité" des Arabes déjà indiquée avant le Coran dans le livre des Jubilés alors qu’Isaac, fils légitime, reçoit celle des Juifs, Juda étant fils de Jacob, lui même fils d’Isaac et petit fils d’Abraham (Jacob engendre douze fils, pères des douze tribus d'Israël).
L’islam enseigne que le fils qu’Abraham offert à Dieu en sacrifice est Ismaël en argumentant que le texte de la Bible a été falsifié par les Juifs : elle nomme Isaac mais le présente comme le fils unique. Or Isaac a un frère aîné qui seul, avant qu’Isaac ne vienne au monde, a pu être le « fils unique » du patriarche.
Le Hajj (l’un des cinq piliers de l’islam) suit les traces d’Ibrahim, Agar et Ismaël alors qu’ils erraient dans le désert jusqu’à La Mecque.
Sur le point de mourir de soif dans le désert, Ibrahim, Agar ("Hajar" chez les Musulmans) et son fils sont sauvés par l’intervention divine par une source que les musulmans situent près de la Kaaba et nomment Zamzam.
L’Aïd el-Kebir, la fête la plus importante de l’islam, termine le Hajj et commémore surtout le sacrifice d’Ismaël qu’Abraham voulait faire en signe d’obéissance et de soumission à la volonté de Dieu. Les musulmans sacrifient, dans la mesure de leurs moyens, un mouton, un bouc, un taureau, un buffle ou un chameau pour rappeler le sacrifice d’Abraham et en partagent la viande en famille et, en signe de charité, avec les pauvres.

Thèses sur la signification du sacrifice demandé

En obéissant à l’ordre divin, et comme dit plus haut, Abraham "reconnaît ainsi Celui dont il tient l’enfant. Comme le jeune garçon, au verset 7, l’appelle aby, « mon père », et que lui répond bény, « mon fils », ils se sont aussi reconnus mutuellement."
Mais plutôt que cette triple reconnaissance, les enseignements religieux voient dans cet épisode un acte de foi, de confiance totale en Dieu. Le sacrifice demandé à Abraham est ainsi rapproché de deux autres épisodes :
  • La loi juive qui demande que tout premier né soit consacré à Dieu, les hommes sont rachetés ainsi que les animaux impurs, les animaux purs sont sacrifiés (Nombres 18 versets 15 à 17). Dans ce cadre, le sacrifice d’Isaac est l’application de cette loi qui sera ensuite formalisée par Moïse.
  • La mort de Jésus sur la croix : Abraham était prêt à sacrifier son fils Isaac pour Dieu, Isaac se soumettant à son père ; Dieu a de même sacrifié son fils unique Jésus pour sauver les hommes, Jésus s’est soumis à la volonté de Dieu (Philippiens 2:8). Cet acte serait donc une image du futur sacrifice de Jésus.
On a aussi avancé que le sacrifice d’Abraham signifierait la fin des sacrifices humains, pratique qui aurait perduré chez d’autres peuples sémitiques. Les Phéniciens (carthaginois en particulier) continuèrent à sacrifier les premiers nés mâles en gage de fécondité dans les sanctuaires de Tanit et de Baal Hamon. Les lieux où se pratiquaient ces sacrifices sont appelés « tophets ». Ce rite se serait prolongé jusqu’au IIe siècle av. J.-C. d’après les fouilles effectuées en Sardaigne, en Sicile et à Carthage. Dans cette perspective, Abraham aurait accompli un rite ethnique cohérent avec la promesse d’une nombreuse descendance.
D’autres récits relatent de la pratique des sacrifices humains ; le plus remarquable est l’histoire de Tantale : confronté à la même situation qu’Abraham, il réagit en refusant le sacrifice et en truquant le rite. Le résultat de cette révolte contre (les) dieu(x) n’apparaît pas convaincant puisque, si on en croit la mythologie, Tantale sera durement châtié et les sacrifices humains perdureront dans sa lignée et plus généralement chez les Grecs : Iphigénie devra être sacrifiée par Agamemnon par exemple.
De façon plus générale, le geste d'Abraham, bien qu'il ne soit resté qu'intentionnel, constitue historiquement un des premiers exemples de soumission à l'autorité et prend à ce titre valeur d'archétype.

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