lundi 19 novembre 2012

Adoption dans le Droit Canon (1) : Canonical Adoption...

Existe-t-il une adoption d'âge canonique, conforme au droit canon chrétien ? A en croire la définition de la Catholic Encyclopedia de 1907, la réponse est oui...  Une adoption d'âge canonique plus jeune que l'adoption du code d'Hammourabi, et d'usage limité ( en Europe occidentale, on observe une disparition d'usage de l'adoption au Moyen-Âge chrétien, que je traiterai ultérieurement)...

ADOPTION DANS LE DROIT CANON (canonical adoption)

Au sens juridique, l'adoption est un acte par lequel une personne, avec la collaboration de l'autorité publique, choisit pour enfant un qui ne lui appartient pas.

Dans le droit romain, il existait l'adrogation (adrogatio) : nom donné à l'adoption d'un individu déjà majeur (sui juris); datio in adoptionem, quand l'individu était donné en adoption par quelqu'un ayant autorité ou pouvoir sur lui.
L'adoption était plénière (plena) si le père adoptant était un parent  de l'ascendance de l'adopté,  ou simple (minus plena) s'il n'y avait pas de tels liens naturels.
L'adoption « parfaite » (perfect adoption ; autre nom donné à l’adoption plénière), plaçait l'adopté sous le contrôle de l'adoptant, dont le nom était pris, et l'adopté devenait héritier légitime.
L'adoption était « imparfaite » (less perfect adoption ; autre nom donné à l’adoption simple) lorsqu'elle désignait un adopté  comme héritier légitime, quand l'adoptant devait décéder sans testament. La règle était qu'un homme - et non une femme - pouvait adopter, que l'adoptant devait avoir au moins 18 ans de plus que l'adopté; que l'adoptant devait être   majeur, et  âgé de plus de 25 ans.

L'Eglise a fait sienne la loi romaine d'adoption, avec ses conséquences juridiques.
Le pape Nicolas Ier (858-867) parlait de cette loi comme vénérable, alors qu'il inculquait son observance chez les Bulgares.
Ainsi l'adoption, sous le terme Cognatio Legalis, ou "lien juridique", a été reconnu par l'Eglise comme un empêchement dirimant au mariage.
[NDLR : On lit dans le Livre 4 des Sentences de Pierre Lombard  au XIIe S.:  Cognatio triplex est : carnalis quae dicitur consanguinitas ; spiritualis quae dicitur compaternitas & legalis quae dicitur adoptio.]


Pierre Lombard († 1060, étudiant d'Abélard) écrivant son Livre des Sentences (en 1154). 
Ms 900, fol. 1, BMVR de Troyes, XIIe siècle.

 Ce lien juridique ressort de sa ressemblance avec le lien naturel (et a fait obstacle au mariage) :
- paternité civile entre l'adoptant, l'adopté et les enfants naturels légitimes de ce dernier même après la dissolution de l'adoption ;
- fraternité civile entre les adoptés et les enfants naturels légitimes de l'adoptant, jusqu'à ce que l'adoption soit dissoute, ou que les enfants naturels soient placés sous leur propre autorité (sui juris);
- affinité résultant du lien d'adoption entre l'adopté et l'épouse de l'adoptant, et entre l'adoptant et l'épouse de l'adopté. Cela n'était pas remis en cause par la dissolution de l'adoption.

L'Eglise reconnaît, dans l'intimité conséquente à ces relations juridiques, des motifs suffisants pour faire obstacle à  tout espoir de mariage, par respect pour l'ordre public, et pour sauvegarder la moralité de ceux mis en relations aussi proches.

Le Code de Justinien a modifié le vieux droit romain, en déterminant que les droits issus de la filiation naturelle ne sont pas perdus dans l'adoption par un étranger. Cela a donné lieu à une autre distinction entre adoption parfaite (plénière) et adoption imparfaite (simple).
Mais comme la modification de Justinien  ne fait aucun changement dans les affinités provoquées habituellement par l'adoption, l'Église n'a, à aucun moment, fait expressément de distinction entre adoptions parfaites et imparfaites, comme obstacle au mariage.

Il émergea cependant parmi les canonistes une controverse à ce sujet, certains affirmant que seule l'adoption parfaite était un empêchement dirimant au mariage.
Benoît XIV (De Syn. Dioec., I, X, 5) dit de cette discussion et, tout en ne donnant aucune décision positive, énonçait le principe que toutes les controverses en la matière devaient être traitées en accord avec les sanctions substantielles du droit romain.
Ceci est une clé pour la question pratique qui, aujourd'hui, découle des modifications plus ou moins importantes, que le  droit Romain, ou civil, a subi dans presque tous les pays où il régnait, et donc un doute conséquent persiste, à certains moments, de savoir si cet empêchement dirimant du lien juridique existe toujours aux yeux de l'Église.

Partout où les éléments substantiels du droit romain ont été conservés dans les nouveaux codes, l'Église reconnaît cette relation d’adoption comme un empêchement dirimant en accord avec le principe posé par Benoît XIV.
Ceci est bien reconnu par la Congrégation du Saint-Office dans sa décision positive en ce qui concerne le Code du Royaume de Naples (23 Février 1853).

[Source : Burtsell, Richard. "Canonical Adoption." The Catholic Encyclopedia. Vol. 1. New York: Robert Appleton Company, 1907<http://www.newadvent.org/cathen/01147b.htm>.]

Pachelbel's Canon - London Symphony Orchestra

3 commentaires:

  1. Bonjour, un petit détail : d'après le dictionnaire en ligne (Gaffiot...), minus signifie :
    2 - mĭnus, adv. compar. de parum :
    - a - moins, assez peu.
    - b - ne... guère.
    - c - pas, point, non.
    Ce dernier sens est très utilisé en latin juridique. Le traduire par "moins parfait" ou "less perfect" est un contresens pour non-parfait, imparfait.

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    1. Merci pour votre petit détail qui va me permettre de trancher pour la traduction de "less perfect adoption" de la définition anglaise d'origine. J'opte donc pour la traduction d'adoption imparfaite.

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  2. J’espère que je ne me trompe pas de poste ni de sujet, mais après vous avoir lu je ne peut m’empêcher de vous envoyer cette réflexion qui peut apporter une lumière sur la position de l'église (sans jeux de mots) !

    "Cette question du mariage gay m'intéresse en raison de la réponse qu'y apporte la hiérarchie ecclésiale. Depuis le 1er siècle après Jésus-Christ, le modèle familial, c'est celui de l'Eglise, c'est la Sainte Famille. Mais, examinons la Sainte Famille. Dans la Sainte Famille, le père n'est pas le père : Joseph n'est pas le père de Jésus, le fils n'est pas le fils : Jésus est le fils de Dieu, pas de Joseph. Joseph, lui, n'a jamais fait l'amour avec sa femme. Quant à la mère, elle est bien la mère mais elle est vierge. La Sainte Famille, c'est ce que Levi-Strauss appellerait la structure élémentaire de la parenté. Une structure qui rompt complètement avec la généalogie antique, basée jusque-là sur la filiation : la filiation naturelle, la reconnaissance de paternité et l'adoption. Dans la Sainte Famille, on fait l'impasse tout à la fois sur la filiation naturelle et sur la reconnaissance pour ne garder que l'adoption. L'Eglise, donc, depuis l'Evangile selon Saint-Luc, pose comme modèle de la famille une structure élémentaire fondée sur l'adoption : il ne s'agit plus d'enfanter mais de se choisir. A tel point que nous ne sommes parents, vous ne serez jamais parents, père et mère, que si vous dites à votre enfant "je t'ai choisi", "je t'adopte car je t'aime", "c'est toi que j'ai voulu". Et réciproquement : l'enfant choisit aussi ses parents parce q'il les aime. De sorte que pour moi, la position de l'Eglise sur ce sujet du mariage homosexuel est parfaitement mystérieuse : ce problème est réglé depuis près de 2000 ans. Je conseille à toute la hiérarchie catholique de relire l'Evangile selon Saint-Luc, ou de se convertir."



    Entretien accordé par Michel Serres à La Dépêche du Midi et paru le mercredi 24 octobre
    2012.

    Stéphane !

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